Si les aspects mémoriels de la Libération ou de la déportation sont bien présents dans la mémoire collective, ceux concernant la campagne de France et de Belgique sont beaucoup moins marqués.
Les souffrances sur le front des troupes coloniales, celles des prisonniers, notamment des camps de transition où ils meurent en masse, sont généralement oubliées.
Ces exemples montrent que les images de ce moment douloureux de l’histoire de France résonnent différemment dans la mémoire collective. Cette « mémoire » collective est sélective, elle n’est comme le disait Maurice Halbwachs, qu’une agrégation de processus mémorisés dans le présent de chaque époque. Ainsi notre mémoire collective oublie ce qui n’a jamais voulu être mémorisé comme la défaite de mai 1940 et les sacrifices faits par cette armée. Elle s’incarne dans un culte mémoriel qui est travaillé par des intérêts de groupes sociaux et politiques à travers des lieux de mémoire (voir les travaux d’Olivier Wievorka cités dans notre préambule).
Sur cette défaite s’est livrée une guerre des mémoires qui a conduit à invisibiliser ces soldats. La « mémoire nationale » n’a laissé qu’une faible place aux morts de la campagne de France préférant commémorer la Résistance ou le débarquement de 1944. La « mémoire combattante », celle des soldats, était trop marquée par le traumatisme de la défaite pour être commémorée (Lormier, 2005).
Trois mémoires se sont fait face dans ce combat mémoriel. Celle du Gaullisme, dominante, s’opposait à celle du parti communiste et des FTP. La volonté hégémonique du Gaullisme est présente dès 1945 lorsque De Gaulle refuse de faire défiler les FTP Espagnols à Toulouse ou exclue les troupes coloniales des défilés de la Victoire. La victoire de 1945 devait être française, résistante et blanche.
La troisième mémoire est celle de l’armée d’Afrique, de la Libération et du débarquement de Provence. Ces trois mémoires cohabitent avec celle de la déportation dans l’espace complexe de la mémoire collective.
Construire une mémoire collective avec l’Afrique reste difficile du fait de l’ambiguïté mémorielle de la notion même d’armée coloniale. Elle est aussi difficile à réaliser dans la mémoire collective française du fait que les traces de ces combattants ont souvent disparu. Les morts africains ont disparu de l’espace public (à l’exception de quelques lieux de massacre comme Chasselay ou Airaines, et des lieux du débarquement de Provence). Les corps des prisonniers sont dans des ossuaires et souvent anonymes. Ainsi, plus de 600 soldats coloniaux malades sont décédés à Antonne et Trigonan en Dordogne mais leur souvenir a complètement disparu de ce village et leurs corps sont entassés dans un ossuaire du Poitou.
Pour qu’une mémoire soit activée dans une mémoire collective, il faut qu’elle soit portée par des vétérans, ceci n’a jamais a été le cas pour celles des soldats de 1940 qui ont choisi de se taire, à l’exception de quelques officiers. Notre travail s’inscrit dans cette perspective mémorielle, il n’est pas qu’un travail de recherche. Il donne à voir, par la cartographie des morts de 1940, la souffrance de ces soldats oubliés. Cet atlas veut aussi montrer les morts de l’armée coloniale décédés en détention ou en centre de transition.